FICHE PRATIQUE N° 4: PRIX ABUSIVEMENT BAS
I. DÉFINITION:
L’article 12 de l’ordonnance n° 03-03 du 19 juillet 2003, modifiée et complétée, relative à la concurrence, condamne l'offre ou la pratique de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport au coûts de production, de transformation et de commercialisation dès lors qu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d’un marché ou d’empêcher d’accéder à un marché, une entreprise ou un de ses produits.
II. PRATIQUE DANS LE DROIT FRANÇAIS:
Il ressort de la pratique décisionnelle de l'Autorité de la Concurrence Française (Voir notamment décision 06-D-23 du 26 juillet 2006 relative à la situation de la concurrence dans les secteurs de l'édition cartographique et de l'information touristique) que trois (03) conditions cumulatives doivent être réunies pour emporter la qualification de prix abusivement bas :
- une offre de prix destinée au consommateur ,
- un niveau de prix proposé insuffisant par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation ,
- une volonté ou une potentialité d'éviction du concurrent ou du produit concurrent.
Les prix abusivement bas s'entendent des offres de prix faites en direction du consommateur final.
La Cour d'Appel de Paris a, dans un arrêt du 3 juillet 1998 relatif à la société moderne d'assainissement et de nettoiement, définit la notion de consommateur comme :
« la personne physique ou morale qui, sans expérience particulière dans le domaine où elle contracte, agit pour la satisfaction de ses besoins personnels et utilise dans ce seul but le produit ou le service acquis ».
Dans cette affaire, le syndicat intercommunal pour le traitement des ordures ménagères de Fréjus-Saint Raphaël (SITOM) avait lancé un avis d’appel public à la concurrence pour l'extension d'une décharge.
Une société avait alors saisi le Conseil de la concurrence (devenu Autorité de la Concurrence) en dénonçant les pratiques de prix abusivement bas qu'elle imputait à un concurrent.
Pour écarter l'application de l'article L 420-5 du code de commerce, la Cour d'appel de Paris précise que le SITOM n'est pas un consommateur car il intervient pour satisfaire non pas ses propres besoins, mais ceux des habitants des communes appartenant au SITOM.
La Cour indique également qu'en matière de marchés publics, l'acheteur public a une obligation de contrôle des offres tarifaires suspectes qui nécessite des compétences techniques incompatibles avec la notion de consommateur.
La définition du consommateur telle que donnée dans l'arrêt de la Cour d'appel de Paris précité a été reprise par l'Autorité de la Concurrence dans sa décision n° 08-D-01 du 18 janvier 2008. Ainsi, dix (10) ans après la définition de la notion, la jurisprudence reste constante sur ce point.
Dans cette affaire, le plaignant, la société SEGARD, entendait soumissionner en réponse à un appel d'offres lancé par un centre hospitalier du Gard pour une mission d'assistance générale au maître d'ouvrage relative à la construction d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées. Cette société dénonçait l'offre à un « prix anormalement bas » présentée par un autre soumissionnaire, à savoir la Direction départementale de l'équipement du Gard. Le plaignant soutenait que le centre hospitalier devait être considéré comme un consommateur car la prestation avait pour but de satisfaire ses propres besoins.
Mais l'Autorité de la concurrence écarte une telle qualification en estimant que pour mettre en place son appel d'offres, le centre hospitalier a dû élaborer un dossier d'étude administratif et technique qu'il a mis à disposition des candidats en vue du dépôt de leur candidature. De même, le centre hospitalier a élaboré un cahier des charges et un cahier des clauses administratives. Selon l'Autorité de la concurrence, l'élaboration de ces différents documents démontrait que le centre hospitalier détenait une compétence technique ne permettant pas de l'assimiler à un consommateur qui par définition ne dispose d'aucune expérience dans ce domaine, peu important par ailleurs que l'appel d'offres visait à satisfaire ses propres besoins.
Les prix abusivement bas obéissent à la même méthodologie que les prix prédateurs. En effet, l'Autorité de la Concurrence a rappelé que les conditions des prix abusivement bas étaient identiques à celles des prix prédateurs. Dans son avis 97-A-18 du 8 juillet 1997, l'Autorité a estimé que « Les dispositions envisagées qui définissent le prix abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation s'inscrivent dans la droite ligne de la jurisprudence communautaire et nationale sur les prix de prédation ».
Par contre, l'application des dispositions sur les prix abusivement bas de l'article L. 420-5 n'est pas limitée aux pratiques des entreprises en position dominante, à la différence des dispositions de l'article L. 420-2 dont relèvent les pratiques de prix prédateurs mises en ouvre par une entreprise en position dominante.
L'Autorité a rappelé, dans ce même avis, que la définition du prix prédateur telle qu'elle a été donnée par la Cour de justice des Communautés Européennes, dans son arrêt AKZO du 3 juillet 1991, recouvre deux (02) situations :
► des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables [...] par lesquels une entreprise dominante cherche à éliminer un concurrent doivent être considérés comme abusifs (1) ;
► des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux qui comprennent les coûts fixes et les coûts variables, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables, doivent être considérés comme abusifs lorsqu'ils sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent » (2).
(1) L'Autorité de la Concurrence (à l'époque Conseil de la Concurrence) a estimé, dans sa décision n° 00-D-50 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Française des Jeux dans les secteurs de la maintenance informatique et du mobilier de comptoir, que si "la vente au dessous de coût variable suffit à caractériser une stratégie prédatrice, ce critère ne peut être appliqué lorsqu'un prix n'est inférieur au coût variable moyen que de façon épisodique. »
(2) L'Autorité de la Concurrence (à l'époque Conseil de la Concurrence) a précisé dans son avis 97-A-18, en ce qui concerne la deuxième situation, que « seront pris en considération les coûts variables qui permettent de présumer un effet d'éviction ; la référence aux coûts moyens totaux ne peut être effectuée que si la pratique des prix bas est accompagnée d'indices suffisamment sérieux, probants et concordants d'une volonté de capter la clientèle au détriment du concurrent. Cette volonté peut résulter des conditions dans lesquelles la pratique a été mise en œuvre, notamment lorsqu'elle relève d'un comportement qui s'écarte de la politique commerciale habituelle du distributeur et/ou parce qu'elle est clairement dirigée contre un concurrent ».
Le prix pratiqué traduit une volonté ou une potentialité d'éviction du concurrent.
La pratique décisionnelle de l'Autorité de la concurrence s'appuie sur une méthode d'analyse identique pour les prix abusivement bas et les prix prédateurs. Ainsi, dans sa décision 04-D-10 du 1er avril 2004 relative à des pratiques de la société UGC-Ciné cité, l'Autorité de la concurrence considère que pour qu'une stratégie de prédation puisse se développer, il faut qu'elle soit pratiquée pendant un temps suffisamment long « pour évincer les concurrents, dans l'espoir de récupérer les pertes subies en pratiquant des prix élevés une fois les concurrents sortis du marché ». L'Autorité a ajouté que « pour qu'une telle stratégie ait une chance d'être profitable, il faut, d'une part, que les concurrents ne puissent pas résister trop longtemps aux prix bas et décident de sortir assez vite du marché et d'autre part, qu'il existe des barrières à l'entrée substantielles sur le marché considéré, de manière à ce que les prix élevés pratiqués dans le futur n'induisent pas le retour des concurrents évincés ou l'entrée de nouveaux opérateurs ».
Depuis l'entrée en vigueur de ce texte, l'Autorité de la Concurrence a été saisie à plusieurs reprises sur la base de l'article L 420-5 du code de commerce, mais aucune condamnation n'a été prononcée parce que généralement les faits dénoncés ne visaient pas le consommateur. La dernière décision rendue par l'Autorité de la concurrence sur le fondement de l'article L 420-5 du code de commerce est la décision 08-D-01 du 18 janvier 2008.